Quand l’agate révèle la lumière :
gravure en manière noire

Pendant mon stage de 5 jours avec l’artiste Alban Dreyssé dans son atelier Imago à Strasbourg, j’ai eu la chance de m’initier à une technique qui m’intriguait depuis longtemps : la manière noire.

Cette approche singulière du noir et de la lumière m’attirait beaucoup, et j’avais hâte de m’y essayer.
Dans cet article, je vous partage les grandes étapes de la réalisation d’une gravure en manière noire, une technique à la fois exigeante et magique.

Préparer la plaque : grainage au berceau

Avant toute chose, il faut s’armer de patience (et d’un peu de musculation !) pour préparer la plaque.
Dans mon cas, j’ai utilisé une plaque de cuivre, que j’ai grainée à l’aide d’un outil spécifique : le berceau. Celui-ci permet de créer des milliers de petits creux à la surface du métal, rendant celle-ci uniformément rugueuse. C’est cette rugosité qui retiendra l’encre et donnera un noir profond et velouté à l’impression.

Pour un grain fin et régulier, on passe le berceau dans plusieurs directions, en superposant les couches. Plus on repasse, plus le grain devient dense.

Une fois le grainage terminé, nous faisons un premier tirage test : le résultat est parfaitement noir, signe que la plaque est prête pour la suite !

berceau gravure manière noire ludwine illustration
berceau gravure manière noire ludwine illustration

Dessiner avec la lumière : polissage à la pierre d’agate

Vient ensuite l’étape magique : faire émerger la lumière.

Pour cette première gravure en manière noire, j’ai choisi un sujet simple mais fort en contraste : une capsule sèche de coquelicot. Ses formes arrondies et sa texture rugueuse se prêtaient particulièrement bien à cette technique, qui joue justement sur les nuances subtiles entre ombre et lumière.

Après avoir dessiner mon sujet au crayon à papier directement sur ma plaque, je saisis une pierre d’agate afin de polir progressivement certaines zones de la plaque pour faire apparaître mon dessin.
Plus je polis une zone, plus elle devient lisse, et donc moins elle retiendra l’encre : c’est ainsi que naissent les blancs et les dégradés de lumière.

C’est un travail minutieux, presque méditatif. Pour suivre ma progression, je réalise des tirages intermédiaires : un premier test, puis retour au polissage, et ainsi de suite…

polissage pierre d'agate manière noire gravure ludwine illustration

Encrage de la plaque

Comme pour les autres techniques de taille-douce que j’ai explorées (voir mon article Mon initiation à la taille-douce : l’eau-forte, un monde de contrastes), l’encrage demande méthode et précision.

J’applique de l’encre sur toute la plaque, puis je la retire délicatement avec des tarlatanes, et enfin avec du papier journal pour affiner le résultat.
C’est une étape sensible : il ne faut ni trop enlever d’encre (au risque de perdre des détails), ni en laisser trop (au risque d’avoir un rendu brouillon).

On passe au tirage final !

Après plusieurs retouches et essais, vient le moment du tirage final.

Je prépare ma feuille de papier spécial gravure, que j’ai préalablement humidifiée, je la pose sur la plaque, puis je lance l’impression : un petit effort physique pour faire tourner la presse taille-douce, et laisser la magie opérer.

Mon ressenti

Cette initiation à la manière noire m’a réellement captivée. C’est une technique inversée par rapport au dessin classique : on part ici d’un noir total, et on “dessine” en enlevant la matière, en révélant peu à peu la lumière.

Cela m’a beaucoup rappelé le travail au fusain, où l’on ajoute du noir, puis on vient effacer pour faire apparaître les zones de lumière. On sculpte presque l’image, non plus par le trait, mais par la lumière elle-même.

La manière noire se prête particulièrement bien à des sujets très sombres — animaux nocturnes, portraits dramatiques, scènes en clair-obscur — où les noirs sont omniprésents et où les nuances de lumière prennent toute leur force.

C’est d’ailleurs devenu l’une de mes techniques préférées, sans doute parce qu’elle reste très proche du dessin dans sa manière de construire l’image, mais avec une approche radicalement différente, plus tactile, plus physique, presque silencieuse.

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